
Comment parler du mouvement des Gilets jaunes avec les enfants, une psychologue du Havre (Seine-Maritime), répond. (©Adobe Stock/Illustration)
Luisa De Souza reçoit des enfants et des adolescents à son cabinet au Havre (Seine-Maritime), mais aussi lors de ses interventions en milieu scolaire. « Jusqu’ici, le sujet des Gilets jaunes n’est pas encore apparu dans les suivis en milieu scolaire avec les plus petits (en primaire), mais il l’a été avec des adolescents ou des adultes ». Pour la psychologue, « l’importance du sujet dans notre quotidien et les images qui circulent font que ‘oui’ les enfants sont fortement exposés et se posent des questions ».
« Répondre en restant factuel »
76actu : Faut-il parler du mouvement des Gilets jaunes aux enfants ou attendre qu’eux en parlent ?
Luisa De Souza, psychologue : C’est toujours important de penser à s’adapter à l’âge et la maturité de l’enfant. Et surtout faire attention notamment à la surexposition des images violentes qui peuvent circuler dans les médias ou sur les réseaux sociaux. C’est un sujet qui divise. Dans les échanges des adultes, des représentations très positives ou très négatives sur ce qu’il se passe peuvent être apportées. Faut-il leur en parler pour autant ? Pas forcément. Notamment avec les plus petits, il faut attendre que cela vienne d’eux et rester surtout ouvert aux questions. Il faut chercher des façons simples d’y répondre en restant factuel pour ne pas rajouter des éléments anxiogènes, notamment aux plus petits.
Faut-il donner sa position sur le mouvement des Gilets jaunes ?
Pour l’enfant ce sera toujours intéressant de connaître l’avis de ses parents. Il va forcement vouloir le valoriser. Ils vont avoir envie de le connaître pouvoir se rassurer. L’adulte peut pourquoi pas la livrer en insistant sur le fait que c’est un point de vue et sans essayer de le valoriser. Mais jusqu’à cinq ou six ans, je ne suis pas certaine que donner son point de vue ait un intérêt.
Pour les plus grands, la posture, les enjeux ne sont pas les mêmes. Dès que l’âge de l’enfant, sa maturité et sa sensibilité permet d’avoir un échange autour de l’avis de l’un et de l’autre, je pense qu’il faut favoriser le débat. Pour l’ado, les enjeux de reconnaissance, de place dans la famille sont importants, il faut donc le laisser défendre ses positions.
Aider les enfants à supporter l’attente
Les notions de gentil-méchant, de bien et mal sont importantes pour les enfants. Comment les aborder sur ce sujet ?
Contrairement à d’autres mouvements sociétaux comme les attentats ou des images de guerres, ce n’est pas facile de simplifier ces notions. C’est une des plus grandes difficultés pour l’adulte. Donner ce genre de repères est impossible, mais ce qui est en jeu c’est aussi la capacité à rassurer tout en gardant une souplesse. Il faut expliquer qu’il s’agit d’une crise, qu’il y a des changements qui interviendront et que des personnes responsables veulent trouver des solutions.
La réponse définitive n’existant pas, il s’agit d’aider les enfants à supporter cette attente.
Dans la cour d’école, le jeu du Gilet jaune contre le CRS est arrivé. Qu’en pensez-vous ?
C’est très bien et il faut le laisser faire. Lorsqu’il joue, l’enfant est en travail, en recherche notamment sur cette histoire du bien et du mal. L’adulte ne doit intervenir qu’en cas de débordement et justement permettre à l’enfant de réfléchir sur cette notion.
Les violences en marge des manifestations peuvent être un sujet de questionnements voire de peur lorsque les enfants en sont témoins. Comment les parents doivent-ils alors réagir ?
Pour les enfants confrontés à cette violence, le plus important est d’essayer de poser des mots très simples et de rappeler la question de la sécurité, et dans un second temps les surveiller sur plusieurs jours pour savoir s’il n’y a pas de conséquences.
Ce qui peut soulager, c’est de rappeler qu’il y a une loi et que des personnes qui expriment ou laissent déborder de la violence devront en répondre devant la loi.
« Éteignez la télé ! »
Et comment réagir face aux images de violences qui peuvent tourner en boucle à la télé devant les enfants ?
Les enfants doivent être protégés de l’excès d’images violentes. Le plus simple c’est d’éteindre la télé.
Les parents peuvent maîtriser le temps d’exposition à la télé, mais pas celui passé sur les réseaux sociaux par des adolescents…
C’est la question de l’espace de circulation de parole dans la famille qui doit être alors favorisé. Plus le grand enfant ou l’ado a la perception que dans la famille, la parole et les points de vue peuvent être pris en compte, plus il viendra aborder avec l’adulte les questions autour des images.
Cette génération d’enfants qui aura connu des attentats et le mouvement des Gilets jaunes comment la voyez-vous grandir ?
Cela aura une incidence. On ne peut pas savoir quelles seront les conséquences sur les prochaines générations. On constate cliniquement une augmentation des troubles limites ou des difficultés dans tout ce qui est recherche d’identité ou dans des référentiels d’identité. Il faudra, c’est certain, chercher des référentiels plus sûrs pour l’avenir de cette génération.