
La reconstruction d’Auguste Perret au Havre (Seine-Maritime) est classée au patrimoine mondial de l’Unesco. (©MC Nouvellon/76actu)
S’ils ont parfois mauvaise presse, les bâtiments issus de la reconstruction en Normandie sont de « véritables œuvres d’art », assure Patrice Gourbin, docteur en histoire de l’art et enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA) de Normandie.
Pour les mettre en valeur, la Région planche, avec des élus, des chercheurs, mais aussi des cadres territoriaux, sur un label « patrimoine de la reconstruction ».
Mis en place dès juillet 2019
« C’est une étape majeure de notre histoire à valoriser et à faire connaître. C’est un patrimoine qu’il faut apprendre à regarder », assure Guy Lefrand, vice-président en charge de l’aménagement du territoire à la Région Normandie, en ouverture d’une journée de réflexion sur ce nouveau label, à l’Abbaye-aux-Dames, à Caen (Calvados), lundi 4 mars 2019.
Ce label pourrait être une manière de valoriser ce patrimoine trop souvent méconnu des populations locales. « Cela pourrait aussi être une incitation financière pour les propriétaires, les bailleurs… Afin qu’ils puissent rénover dans le respect ces bâtiments de la reconstruction », précise la Région. Ce label pourrait être mis en place dès juillet 2019.
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Des urbanistes et architectes de renom
Face à une Normandie complètement détruite et une économie dévastée, la reconstruction ne démarre réellement qu’en 1948. Le ministère de la Reconstruction et de l’urbanisme nomme alors les urbanistes et les architectes les plus talentueux de l’époque pour mener la reconstruction.
Pour ne citer que quelques urbanistes : Albert Laprade, nommé à Gournay-en-Bray (Seine-Maritime) et Léon-Émile Bazin, nommé à Gisors dans l’Eure, avaient collaboré avec Henri Prost sur les plans de villes au Maroc, principal terrain d’expériences de l’urbanisme français avant la guerre. Jacques Gréber, nommé à Rouen, avait réalisé à Philadelphie, aux États-unis, le Fairmount parkway, un parc urbain qui lui a valu une renommée internationale.
Quant aux architectes, nous ne pouvons pas passer à côté du célèbre Auguste Perret pour Le Havre, dont les bâtiments sont aujourd’hui classés au patrimoine de l’Unesco (organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture). Sans oublier Marc Brillaud de la Laujardière à Caen (Calvados) ou encore Marcel Chappey, nommé à Vire, second Grand prix de Rome.
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Parisiens, architectes de l’État, primés ou reconnus, la reconstruction a été entre les mains des meilleurs de l’époque. Si l’État a missionné ces pointures de l’architecture, c’est parce qu’il ne voulait pas refaire à l’identique :
Le but n’était pas de refaire à l’identique, mais d’avoir une réflexion pour proposer un cadre de vie de qualité, adapté au monde contemporain, solide, confortable, fonctionnel, aéré et harmonieux, continue Patrice Gourbin.
Et ce fut l’occasion de mener des expériences architecturales innovantes, comme par exemple la zone verte de Marcel Lods à Sotteville-lès-Rouen, soit de grands immeubles conjugués avec un espace de verdure et de détente.
Comment préserver le patrimoine de la reconstruction ?
Ces figures de l’architecture de l’époque se font aujourd’hui oublier et le patrimoine de la reconstruction est parfois malmené au cours de la vie des bâtiments. « Aujourd’hui, il est évident que les bâtiments de la reconstruction doivent être adaptés : double vitrage, isolation, ascenseurs…, souligne Patrice Gourbin. Et il faut le faire tout en gardant l’unité et l’homogénéité de la ville. Ce qui n’est pas toujours le cas. »
Images à l’appui, le docteur en histoire de l’art montrent des mauvais exemples, à Louviers, notamment. Dans un même ensemble de logements, un propriétaire a peint en blanc sa façade, tandis que que l’autre a laissé le béton à nu. « Cela casse l’unité », peste le spécialiste.
Pour les différents intervenants présents lundi, il est évident qu’il y a un manque de communication auprès du grand public. « Si les propriétaires savent que les gardes-corps ou les portes de leurs biens sont des œuvres d’arts, c’est sûr qu’ils feront plus attention ! », souligne Béatrice Martel de Flers agglo (Orne).
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Les points noirs de la reconstruction
Les villes se retrouvent aussi très embêtées avec les cœurs d’îlots, situés au milieu des barres d’immeubles, très caractéristiques des quartiers du début de la reconstruction. Ces cours communes, souvent gérées par les co-propriétaires, sont considérées comme des « points noirs de la reconstruction » :
Nous ne savons pas quoi en faire. Aujourd’hui, ce sont des parkings mal entretenus, souligne un homme dans la salle. Je suis en charge de mener le programme Action cœur de ville à Louviers et je cherche des idées pour faire quelque chose de ces îlots.
D’autres problèmes sont soulevés : des quartiers pensés pour le tout voiture, des arbres plantés pas toujours au bon endroit… « Si l’architecture a été très bien pensée et bien réfléchie pendant la reconstruction, c’est moins le cas pour les espaces publics », reconnaît Patrice Gourbin.
Démêler le beau du moche de la reconstruction, est-ce finalement le but de ce nouveau label ? Affaire à suivre.
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