
Catalina Martin-Chico utilise la photographie pour « être au plus près des gens ». (©Jérôme Bonnet.)
La bibliothèque universitaire du Havre (Seine-Maritime) présente l’exposition Colombie, (re)naître, jusqu’au 12 avril 2019. Cet ensemble de près de 80 images de la photojournaliste Catalina Martin-Chico raconte le quotidien de combattantes des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et leur retour à leur vie de femmes, après la signature des accords de paix en 2016.
Catalina Martin-Chico, Visa d’or à Perpignan en 2011, évoque le retour à la paix par le prisme du combat individuel. L’exposition a été produite par le festival international du photojournalisme, Visa pour l’image-Perpignan 2018, et la Bibliothèque universitaire du Havre en 2019. La photographe franco-espagnole est nominée pour le World Press Photo of the Year.
Rencontre avec une photojournaliste qui parcourt le monde à la recherche d’histoires et de parcours individuels à partager.
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Guerre et paix : documenter la transition
76actu : Quelle a été la genèse de ce travail documentaire ?
Catalina Martin-Chico : Les accords de paix ont été signés en 2016. Cela m’a paru un moment historique. En France, on n’en parlait pas beaucoup. Moi, je connais ce sujet car j’ai, dans le cadre de mes études, travaillé sur l’Amérique latine, mais c’est un sujet qui intéresse peu.
Moi, les FARC, j’en ai entendu parler depuis mon enfance. Je sentais que la signature des accords de paix était un moment important. Mais comment le documenter ? J’ai alors lu un article dans El Païs sur les grossesses dans les campements. J’ai ensuite effectué des recherches dans les magazines colombiens.
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La renaissance dans les campements FARC
![Guaviare, Colombie. Février 2018. Chez les FARC, Olga/Angelina a trouvé la famille qu’elle avait perdue. Elle raconte aujourd’hui que « la guérilla
[lui] a fermé le coeur », avant d’ajouter : « J’arrive à le rouvrir avec mon fils. » Jaduer a 1 an.](http://static.actu.fr/uploads/2019/03/CMC-DC03-854x569.jpg)
Guaviare, Colombie. Février 2018. Chez les FARC, Olga/Angelina a trouvé la famille qu’elle avait perdue. Elle raconte aujourd’hui que « la guérilla [lui] a fermé le coeur », avant d’ajouter : « J’arrive à le rouvrir avec mon fils. » Jaduer a un an. (©Catalina Martin-Chico.)
Vous auriez pu choisir de vous concentrer sur le retour à la vie civile des FARC, hommes et femmes confondus. Pourquoi choisir ces figures féminines ?
Ce retour à la vie et les grossesses nouvelles des combattantes FARC : c’était un angle parfait pour raconter la paix en images. Eh oui, la paix en images, c’est moins parlant que la guerre.
Je suis une photographe de l’humain ; c’est pourquoi il me fallait raconter cette guérilla par les gens qui l’ont faite. Cette arrivée massive de bébés dans les campements était une porte d’entrée et le symbole idéal de la renaissance. Tout en racontant cette période de transition, cela me permettait de lever un voile sur les sacrifices de ces femmes guerrières, dont la vie est peuplée de traumatismes : abandons d’enfants, avortements. La petite histoire permet de raconter la grande histoire.
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Comment avez-vous fait la rencontre des différents personnages, qui sont au cœur de votre travail documentaire ?
J’avais déjà travaillé une fois en Colombie. Initialement, je pensais avoir recours à un fixeur pour m’aider à trouver des contacts sur place, mais je suis partie à mes propres frais et n’ai pu financer un fixeur. Par des connaissances et contacts, j’ai pu localiser certains camps de transit, où les FARC étaient regroupés en attendant que les armes soient rendues. Les camps étaient très contrôlés, difficiles d’accès car dans des zones reculées. Je suis allée une première fois en Colombie avant que les armes ne soient rendues, puis j’y suis revenue après. Mon travail a ainsi pu documenter la transition.
Au plus près de la réalité
Vous avez débarqué seule dans les campements. Quel accueil vous a été réservé ? Avez-vous ressenti une certaine hostilité ?
Pendant les années de guérillas, les FARC étaient très hostiles aux journalistes, mais, au moment de la signature des accords de paix, tout le monde était plein d’optimisme. Je n’ai rencontré aucun refus, aucune censure. La seule photo qu’on m’a interdite, c’était celle des armes renfermées dans un conteneur. La difficulté était d’accéder aux campements.
Sur place, j’ai fait comme je fais toujours : je me suis vite intégrée. Le fait d’être seule a été un avantage. Je me suis fondue et ai rapidement pu me rapprocher, accéder à une part d’intime. Je cherche toujours à être au plus près de la réalité.
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« Je suis pleine d’admiration pour ces femmes »

Guaviare, Colombie. Juin 2017. Scène de vie quotidienne au moment de la paix dans les campements FARC. Une entraide se met en place entre les femmes, dont beaucoup n’ont que peu d’expérience avec les nouveau-nés. Aucune structure n’a été prévue par ailleurs pour les accompagner. Ici, Edith, la maman des jumeaux, aide Jessica avec son nouveau-né. (©Catalina Martin-Chico.)
Les ex combattantes se sont-elles livrées facilement ? Vous ont-elles raconté leur passé de guerrières ou ont-elles plutôt évoqué le présent et l’avenir ?
Pour ces femmes, combattre, c’est leur vie à elles. C’est leur histoire. Elles n’en parlent pas beaucoup. Elles peuvent parler de choses très dures, mais de manière anecdotique. Quand je les questionnais sur les rencontres entre couples, la drague, elles me disaient : « c’est comme chez vous ! ». Elles ne s’attardent pas sur leur histoire.
Les gens que je photographie ne se victimisent jamais. Je suis pleine d’admiration pour ces femmes.
Quel regard portent-elles sur leur maternité ?
Elles rapportent des détails très durs, mais sans émotion. Par exemple, l’une d’elles a enterré son bébé près de sa tente et raconte cela en ponctuant ses phrases d’un simple « c’est la vie ».
Tisser une relation de confiance
Vous avez effectué deux voyages en Colombie et noué des liens étroits avec certains membres de la communauté. Votre travail est le fruit de cette relation construite dans les campements et entretenue à distance via WhatsApp ?
Mon meilleur ami, c’est le temps. Je suis arrivée dans les campements sans jugement, sans idée préconçue. Mon but est de raconter des histoires humaines pour restituer, avec authenticité, des parcours de vie. La photo est une excuse pour être auprès des gens. Ma passion première, ce sont les gens.
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Raconter des parcours individuels
Comment s’est construit ce reportage ? Comment avez-vous agencé la matière accumulée au cours de ces deux voyages ?
Plusieurs parcours de vies se dessinent à l’issue de cette guerre : les combattants qui restent dans les camps, ceux qui sont partis à la campagne et ceux qui ont été décidé d’aller en ville. Le photojournalisme permet de raconter ces différentes possibilités. J’aimerais poursuivre ce travail et continuer de documenter le post-conflit.
L’ensemble des clichés présentés à la Bibliothèque universitaire relate les deux voyages que j’ai effectués. Entre mon premier voyage et le second, neuf mois se sont écoulés et certaines photos permettent de constater les changements. Quand on a de nombreux clichés, il faut ensuite prioriser l’histoire qu’on veut raconter. Les personnages choisis permettent d’organiser la matière. C’est un puzzle qui peut être continué.
Le refus du spectaculaire et de l’immédiateté
Quel regard portez-vous sur le photojournalisme à l’heure de l’information immédiate, du scoop et du spectaculaire ?
Nous sommes dans l’ère de l’immédiateté, du spectaculaire et des fake news. Les photos circulent partout et il faut faire les choses rapidement. Or, mon travail consiste à raconter les FARC sans violence, sans brutalité et sans côté spectaculaire. Ce n’est pas sexy ! Dans ce métier, il est difficile de faire des sujets au long cours. Mon approche n’est pas mainstream, ni commerciale, donc c’est compliqué de trouver des financements.
Vous avez pourtant une belle visibilité et êtes reconnue dans le milieu ?
Cela ne suffit pas. Le métier reste difficile. D’ailleurs, ce n’est pas un métier, c’est un mode de vie. On pense photo, on travaille photo. L’investissement va au-delà du professionnel. Cela demande beaucoup d’énergie. Mon moteur reste inchangé : je cherche à partager mes histoires, à les faire partager.
Infos pratiques :
Rencontre avec Catalina Martin-Chico, mercredi 20 mars 2019, à 18h30, à l’université du Havre, Amphi Jules Durand, rue Philippe-Lebon, au Havre. Cette rencontre sera animée par Alain Frilet, directeur de Parole de photographes.
Exposition présentée jusqu’au 12 avril 2019, à la bibliothèque universitaire, 25 rue Philippe-Lebon, au Havre.
Pendant les semaines de cours : de 8h30 à 19h, du lundi au vendredi, et le samedi de 10h à 18h.
En période de congés universitaires : de 9h à 17h, du lundi au vendredi.
Entrée libre. Visite commentée sur rendez-vous.